Partout on voit des jeunes gens vaguer à travers les rues ou bien assis toute la journée sur un banc, à rien faire. « Sans appui, pas de travail » vous disent-ils d’un air désabusé. La plupart d’entre eux se plaignent de l’île qui leur apparaît comme une prison. Ils la trouvent ennuyeuse à crever, mais ils ne réussissent pas à s’en détacher. Malgré leurs doléances perpétuelles, on sent bien qu’ils n’ont pas envie de la quitter pour aller voir ailleurs. A l’incroyable inertie de ces garçons s’ajoute une idée de fatalité, la menace constamment présente d’un “mauvais sort” ou le sentiment d’être les victimes de volontés étrangères, si souvent éprouvé en Sardaigne. De l’antiquité païenne, ils ont conservé la peur des fantômes, l’épouvante des choses de la nuit et de la mort, qu’ils conjurent en faisant les cornes du diable avec deux doigts, l’index et l’auriculaire. Partout est tapie la crainte d’être floué, de dépendre du bon vouloir des autres sans que leur propre voix puisse se faire entendre. Le vertige de n’être rien est alors tout ce qui leur reste à vivre. Ils vivent dans l’instant présent, sans mémoire et sans avenir. Privés de l’histoire qui précède leur naissance, ils flottent à la dérive comme des barques dont les amarres sont rompues, ils mènent une existence faite de déambulations nocturnes et veulent vivre sans contrainte, s’étourdir. Ils ne veulent plus émigrer, car travailler ailleurs, c’est toujours dépendre, être esclave des autres. Refusant tout choix et tout engagement définitif. De toute manière, ils ne mouraient pas de faim. L’aide de la famille était un fait. Pourquoi se soucier de l’avenir ?