La confidence répugnait aux Sardes, elle n’était pas convenable – ou leur était impossible par suite de l’étroitesse du milieu et, par conséquence de la peur des ragots ou du jugement des autres. L’intérêt que je prenais à me raconter, autrement que sous le masque rassurant ajusté des faux-semblants, semblait à peine moins répréhensible que le péché d’orgueil dont on m’accusait. Une connotation fâcheuse semblait s’attacher à l’acte de m’exposer en toute innocence. Car ce qui importait à Cagliari, c’était l’apparence, la belle image, fare bella figura : être vu, être en vue. Idées et habitudes passaient par le regard des autres. M’évadant des schèmes tracés, je mettais en péril l’itinéraire de mes nouveaux amis, je créais l’inquiétude, le dérangement. Tous étaient liés par leur famille, leur quartier, la profession de leurs parents. Cela pesait lourdement sur eux, les empêchant d’exister par eux-mêmes. Et toutes ces sujétions s’aggravaient du poids des contraintes économiques dans une société de pénurie et d’âpreté. Pourtant, cette servitude à la conscience commune les soutenait et les réchauffait en même temps qu’elle les écrasait. Ils étaient comme exilés, chacun dans la mêlée. Exilés en dedans.