Tard le matin, S. et moi allions boire un capuccino au Café Genovese, où un garçon au teint de cire se donnait volontiers des airs de majordome. Puis nous empruntions les ruelles sinueuses qui menaient au petit bastion Santa Croce. À gauche, on voit la mer, caressée par l’air du vent; à droite, au-delà de l’église de San Giuseppe, il y a l’ancien ghetto juif et, sous les remparts de roc, au premier plan, des toits ruinés en tuiles sarrasines. Et puis en arrière de la ligne des maisons vouées à l’abandon, qui, lentement, tombaient en ruine, des coupoles que le soleil dorait comme des gâteaux à l’œuf. Partout où se posait notre regard, nulle verdure, mais de la lumière. Surtout de la lumière. Impossible de parler de Cagliari sans évoquer le rayonnement bleu du ciel, qui éveillait en moi une soif d’absolu, une gravité infiniment mélancolique. Dès le début, j’ai pressenti la double nature de cette ville fortifiée sortie de l’azur, à la fois très proche et insaisissable, où le je n’est plus je mais un autre. Suspendue entre ciel et terre, elle participait tout entière des couleurs changeantes de la Méditerranée, rose le matin et rose le soir, éblouissante et dorée en plein midi, et noire comme la nuit des temps, quand l’obscurité est profonde. Il me semblait être arrivée à destination, au bout de longs détours et de nombreux voyages.