Pris de court, S. avait revêtu son cafetan marocain bleu céleste, dénoué sa longue barbe et, muni d’un bâton en guise de houlette, il avait pris part au jeu sans compter que apparence et réalité s’acoquineraient lors du défilé. On imagine mal tous les effets que produisirent nos déguisements. Les femmes se poussaient afin de baiser goulûment le petit Jésus que je portais dans mes bras nus, après avoir effleuré ma peau du bout des doigts pour s’assurer de mon existence réelle. Un enfant insolent, s’exerçant à arracher la barbe de S., pour le mettre en présence de sa réalité, reçut une gifle de son grand-père, accompagnée de cette phrase ambiguë : « Guarda che questi non sono mascherati ! » (« Gare à toi, ceux-là ne sont pas déguisés ! ») Qu’entendait-il par là ? Que nous ne portions pas de maschera, de “faux visage” ? Aussi ce n’est pas sans tremblement que j’osai poursuivre ma marche jusqu’à la piazza Yenne pour brûler Carnaval.