Ce mélange instable d’engouement et d’indifférence à l’égard des étrangers, de conformisme et d’insouciance, me conduisait à éprouver des sensations variées. Je passais d’un sentiment exquis de dépaysement à un ennui mortel, puis à une sensation d’ensevelissement qui se transformait en parfait recueillement. J’oscillais entre deux extrêmes : une volonté d’assimilation, de me fondre dans l’île, et la conscience d’une identité plurielle, composite, parfois d’une sorte de je multiple, libre de toute affiliation, qui s’adaptait aux sensibilités propres à chaque pays, et se retrouvait du même coup condamné à ne pouvoir jamais se fixer. C’était difficile pour moi, qui ne me sentais aucune racine, par désir d’être libre, de comprendre l’attachement exagéré que les Sardes éprouvaient envers leur terre, renforcé par la certitude du sang, au point de ne pas être capable d’intérêt réel pour les autres. Peut-être n’avais-je été frappée par le “Mal de Sardaigne” que pour cette question qu’on me posait en permanence : “Di dove sei ? d’où es-tu ?” et qui me renvoyait brutalement au problème des origines.