Les dauphins devançaient le bateau, faisant des sauts prodigieux, tandis qu’accoudée sur la passerelle, je voyais apparaître Cagliari dans un océan de lumière. L’envoûtement fut immédiat. Le ciel infiniment bleu plongeait dans la mer et absorbait ce qu’il embrassait : une cité de pierre qui se soustrayait au regard tout en exhibant sa nudité. Une cité comme absente à elle-même. Si pure, si enclose dans ses bastions que le temps paraissait en suspens. Quand nous descendîmes du bateau, Cagliari me parut tout de suite familière avec ses façades rose ardent et rouge pompeiano, décrépies et lézardées, sa chaleur lourde, étouffante. Jamais une ville ne fut à la fois si proche et si loin de moi-même.
Loin du continent, l’île semblait appartenir davantage à la mer qu’à la terre. Elle était comme un embryon flottant hors le temps. Sans dualité. Et sur son littoral, face à l’Afrique, se dressait la silhouette rocailleuse de la vieille cité, impassible et hautaine dans sa splendeur déshumanisée. De quoi dois-je me souvenir ? De moi-même, de celle que j’étais alors ? De l’enfant que je fus jadis ? Je ne recherchais pas l’idylle en m’exilant volontairement en Sardaigne deux ans plus tard, connaissant déjà les aspects cruels de Cagliari, son marché de la drogue et le désœuvrement. J’avais tout simplement envie de mener une existence précaire et vagabonde, de goûter à autre chose. L’essentiel étant que cette expérience débouchât sur un renouvellement de la vie et de l’amour.