Extrait 12: Lunamatrona

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Le printemps venu, je retournai à Lunamatrona, sans la présence d’un tiers et, cette fois, T. se fit une joie de me présenter à quelques villageois. Il m’introduisit dans ces maisons obscures où l’on descendait à la cuisine par un escalier étroit aux marches taillées dans la pierre. Le plafond était voûté comme celui d’une caverne, d’énormes jambons pendaient aux poutres noircies par la fumée et de grandes corbeilles en vannerie étaient fixées aux murs crépis à chaux et à sable. J’étais impressionnée par le silence tombal qui régnait en ces lieux et me rappelait les habitations troglodytes des Matmata berbères de la Tunisie. Les femmes me dévisageaient avec bienveillance dans une paix souterraine. Leurs têtes étaient entièrement coiffées d’un foulard, l’ovale de leurs visages éclairés par de grands yeux mauresques. Elles avancèrent une chaise basse, paillée, afin que je pusse m’asseoir dans une position accroupie mais confortable. T. me dit que ces femmes sortaient peu de chez elles, se désintéressant de ce qui se passait dans le monde extérieur. Dans cet abri absolu, le temps n’existait plus, car le jour et la nuit s’entre-mêlaient. Elles fuyaient la lumière au profit de l’univers clos de la cuisine qui retenait toute leur attention. Dans cette antre taillée dans le roc, sans ouverture directe sur le jour, elles travaillaient rigoureusement la pâte à nouilles et à pain, trahissant une volonté de puissance et de domination.