« Nous sommes tous juifs de naissance parce que
nous venons au monde pour Dieu.
Nous sommes tous chrétiens par pénitence parce que
nous avons tous des péchés à racheter.
Nous sommes tous musulmans par espérance parce que
chacun de nous rêve à un paradis caché.
Si je suis laïque, c’est parce que je suis
fatigué d’être un enfant face à Dieu. »
(Slimane Benaïssa, L’avenir oublié)
« Le goût du déguisement, c’est le besoin d’échapper à soi-même et de devenir un autre, de se faire passer pour un autre, de se croire un autre… tout en n’y croyant d’ailleurs pas. »
(Roger Caillois)
Voyager avec Isabelle Eberhardt c’est en tout temps être prêt à se mettre en route ; c’est rêver de partir « sans plan fixe », armé « du bâton et de la besace symboliques[i] » avec l’idée du nomadisme, du cheminement, comme passage de la pensée elle-même. Aussi écrit-elle :
« Un droit que bien peu d’intellectuels se soucient de revendiquer, c’est le droit à l’errance, au vagabondage. Et pourtant, le vagabondage, c’est l’affranchissement et la vie le long des routes, c’est la liberté[ii]. »
Pour cette heimatlos (apatride en allemand), l’identité est à faire, à refaire en permanence et le geste autobiographique y contribue. L’acte de l’écriture la porte tout naturellement au voyage, au mouvement. Car écrire, pour elle, ce n’est jamais accomplir mais toujours tendre vers… c’est être en route vers l’inconnu, s’avancer dans son devenir « autre »…
On est à la mi-temps du XIXème siècle. Face à un monde en pleine mutation, avec l’évènement du capitalisme et de l’industrialisation, les « Désenchantés » de tous les rêves de progrès comme Pierre Loti réagissent par « la fuite du présent méprisable et mesquin[iii]. » La partance loin des régions familières, le projet littéraire, le fol espoir de trouver le bonheur, ces trois motifs se superposent pour les mener vers un ailleurs paré des attraits du romantisme et de l’exotisme. Toute l’œuvre d’Isabelle Eberhardt nous fait part de cette quête qui ne connaît pas de terme, vouée à l’inachèvement : être ailleurs, toujours ailleurs, « là-bas », « ignoré, étranger et chez soi partout[iv] ». Et qui la portera, entre 1899 et 1903, à arpenter la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, « accoutrée comme un jeune indigène du Tell avec une chéchia à gland, une veste et un pantalon français, un chapelet arabe[v] », et à aller au-delà du connu vers « le chemin droit », à savoir vers l’islam, « la grande religion nomade » (Bruce Chatwin) à laquelle elle s’est convertie.
[i] Isabelle Eberhardt, Œuvres complètes I. Ecrits sur le sable (récits, notes et journaliers). Edition établie, annotée et présentée par Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu, Paris, Grasset & Fasquelle, 1988, p. 27.
[ii] Id.
[iii] Victor Segalen, Essai sur l’exotisme, Paris, Le Livre de Poche, coll. Biblio Essais, 1986, p. 48.
[iv] I. Eberhardt, Œuvres complètes I, op. cit., p. 27.
[v] Lettre anonyme in Ecrits intimes, Paris, Payot & Rivages, 1998, p. 262.